Entretien avec Luc Boland

- Pourquoi avoir voulu réaliser ce film ?

Les raisons sont multiples.
Ce film, au même titre que le blog, est à la fois une catharsis et un long travail d’observation, de décodage de Lou, au point d’avoir eu des révélations au montage sur le sens de tel comportement, bien que la scène ait été visionnée des dizaines de fois au préalable.
J’ai fait ce film pour Lou. Afin qu’il puisse entendre, un jour hypothétique, le formidable parcours qui est le sien. En l’absence de photos souvenirs ou d’images, la bande son du film est un récit fait d’ambiances, de tranches de vies que lie ou explicite mon commentaire, comme un album souvenir sonore pour Lou.
J’ai fait ce film parce que je me suis rendu compte que je détenais, avec mes rushes, des images uniques, permettant de suivre l’évolution d’un enfant aveugle, du jour de sa naissance à celui de ses six ans. Des moments d’exception et d’une proximité qu’une mise en scène ou un tournage organisé ne permettent pas, tel par exemple, la découverte du vent par Lou. Il n’existe pas, à ma connaissance, de telles « archives ».
J’ai aussi voulu faire ce film pour témoigner de la réalité de la vie de parents ayant un enfant atteint de handicap. Elever un enfant lourdement handicapé est une occupation de tous les instants. Celui-ci n’a pas les loisirs et le cercle relationnel des autres enfants, qui permettent aux parents de souffler un peu. En regard à des handicap plus lourds (IMC, autisme profond, handicap dégénérescent etc.), la « charge » de Lou n’est rien. Je souhaite de la sorte rendre hommage aussi à ces parents, à notre mesure.

- Pourquoi vouloir rendre publique cette « Lettre » à votre fils ?

Parce que Lou, dans sa différence, est un merveilleux ambassadeur de cette cause.
J’ai fait ce film pour montrer qu’une personne dite « handicapée mentale » a des valeurs et une humanité qui valent bien souvent celles du commun des mortels. Or ce genre de communication fait cruellement défaut dans les médias (et pour cause : ce n’est pas très porteur… et cela fait peur).
Lou ne pense pas comme nous, car le schéma de son cerveau est différent, de par l’absence de cette cloison qui en sépare les deux hémisphères.
Lou, c’est les émotions à l’état brut, la sincérité absolue… et cela vaut bien les excès de self contrôle, la langue de bois et autres contorsions d’autoprotection d’un intellect rationnel, dit « normal ».

- Ne craignez-vous pas la médiatisation de Lou ?

Ce n’est pas sans hésitation que nous avons décidé, la maman de Lou et moi-même, de rendre publique notre vie privée (ainsi que celle de Lou).
Au départ, nous avons analysé quelles étaient les motivations profondes pour réaliser ce documentaire. Nous avons ma compagne, mes filles et moi-même exprimé nos avis, confrontés nos craintes quant au fait de dévoiler une part sensible de notre vie privée au public et nous avons aussi envisagé la probabilité d’un éventuel manque d’intérêt extérieur et, a contrario, les conséquences d’une grande réactivité du public. Si un des objectifs de notre communication est de faire connaître Lou afin qu’il soit reconnu dans l’intégrité de sa personne, notre volonté est et restera de le protéger d’une quelconque notoriété.
Nous sommes, à ce propos et a postiori, étonnés et ravis de voir combien les personnes qui nous reconnaissent parfois en rue, se montrent discrètes et respectueuses de notre vie privée, évitant de nous aborder ou le faisant brièvement.

- Comment réagissent, à votre film, les familles touchées par le handicap?

J’espérais secrètement, par ce témoignage, procurer force et courage à certains parents d’enfant atteint de handicap. Ce vœu s’est réalisé au delà de mes espérances, en atteste la multitude de messages reçus de personnes concernées par le handicap quel qu’il soit. Combien m’ont écrit pour me dire : « J’ai vécu ou je vis exactement les mêmes choses que vous » ou « Vos réflexions, questionnements et doutes sont mot pour mot les miens », jusqu’à me citer de mémoire des phrases de la voix-off. etc.

- Peut-on conclure que seules les personnes touchées par le handicap sont concernées par votre film ?

Pas du tout.
Les diffusions du film à la télévision et les milliers de messages reçus m’ont démontré tout le contraire, comme si les épreuves de la vie – malgré leur aspect intime et particulier – revêtaient un caractère universel. Or personne n’est épargné par les épreuves de la vie.
D’une part, ce film fait du bien à de nombreuses personnes en souffrance, quelles qu’elles soient. Quelle n’a pas été ma surprise de recevoir des remerciements de personnes gravement malades, d’autres souffrant de leur différence telle l’homosexualité, ou encore de personnes que les pires épreuves de la vie n’ont pas épargnées (le deuil, l’abandon, la dépression, …).
D’autre part, nombreux ont été les parents qui m’ont remercié d’avoir réveillé en eux leur instinct maternel ou (plus souvent) paternel. Combien m’ont écrit qu’après avoir visionné le film, ils ont été embrasser leur enfant endormi.
Ces réactions suffisent à elles seules, à ne pas nous faire regretter d’avoir fait ce film.
Je suis à ce titre un réalisateur comblé.

De mon souhait aujourd’hui de vouloir, par le biais du DVD, le partager avec un public plus large encore et surtout, de convaincre ceux qui appréhendent de regarder ce documentaire, de ne pas avoir peur de leurs émotions. (Lire les réactions du public )

- Oseriez-vous prétendre que votre film est donc tout public ?

Absolument.
J’ai reçu des réactions de personnes de toutes classes sociales et de tous âges…
De cette maman d’un enfant de trois ans qui demande de voir et revoir le film comme il demanderait de voir ou revoir “Bambi”, à ces trois adolescents pris de curiosité et ayant abandonné leur console de jeux, ou cet octogénaire qui s’est expressément rendu dans un cybercafé, afin d’utiliser pour la première fois internet et m’écrire le premier courriel de sa vie.

- Votre démarche n’est-elle pas un peu vaine et naïve ?

Non, elle est le fruit d’un raisonnement logique.
En l’absence de toute règle d’éducation d’un enfant avec un tel handicap mental très rare, nos conclusions sont sans appel : l’amour, la confiance, les encouragements et un juste respect réciproque sont les seuls et uniques armes pour élever un enfant, fût-il handicapé ou non.
En ces temps de questionnement sur l’humanité et ses maux, de remises en question des préceptes éducatifs, trop rares sont les voix qui prônent aujourd’hui l’amour, en ce que cela implique : aide, écoute, soutien et pardon.
A force de réfléchir à la manière dont je devrais un jour expliquer à Lou le sens de la guerre, des attentats, des meurtres et autres violences de banlieue – autant de choses qui dépassent son entendement aujourd’hui -, je me suis retrouvé confronté à l’absurdité et le paradoxe absolu de l’être pensant que nous sommes.
Et le jour où Lou me demandera de lui expliquer le sens de ces violences, je répondrai simplement que ce sont l’ultime expression de gens en mal d’amour. Tellement malheureux et incompris dans leur souffrance, qu’ils ne trouvent plus d’autres manières pour s’exprimer que de rendre aux autres le mal qu’ils éprouvent.

- Au final, qu’est-ce qui se cache derrière votre démarche ?

L’équation est très simple.
Je suis papa de trois enfants. Je suis responsable de leur naissance. Je me sens responsable de leur avenir et par conséquent, du monde dans lequel ils vont vivre. Or il se fait qu’en l’état actuel, sans un large travail de communication, sans changement des mentalités, Lou n’aura pas sa place dans notre société.
Je ne veux pas que mon enfant soit parqué loin des regards dans un centre que l’on dit ouvert, mais où personne ne se rend. Je ne veux pas non plus créer un petit paradis artificiel rien que pour lui et déconnecté du reste du monde. Je n’ai donc d’autre choix que de me battre et, main dans la main avec lui, ses soeurs et sa maman, mon irremplaçable compagne, tenter d’être des ambassadeurs du droit à la différence, au respect et à une vie digne.
Je ne pense pas qu’il y ait d’autres solutions que de tenter de faire bouger les mentalités, car je sais aussi que j’aurai le repos de mon âme le jour où Lou aura la place qui lui revient dans notre société : celle d’un petit bonhomme extraordinaire.

- Au niveau formel, en quoi votre film se démarque-t-il des documentaires classiques ?

Les images de « Lettre à Lou » collent au plus près à la réalité.
Lorsque la nouvelle vague est apparue dans les années soixante, des esprits chagrins ont critiqué la perte de rigueur des tournages en studio. C’était nier une nouvelle forme d’expression rendue possible grâce aux progrès de la technologie (une pellicule plus sensible et des caméras plus maniables etc.).
Grâce aux évolutions technologiques de l’image, « Lettre à Lou » a été tourné à 90% avec une caméra D.V. semi-professionnelle compacte – SONY PC100.
Il y a quinze ans à peine, des conditions identiques de souplesse et de qualité professionnelle n’existaient pas et pareil film aurait été impossible à réaliser.
A la manière d’une caméra compacte Bolex H16 16mm des années cinquante, j’ai utilisé cet outil qui libère la création de toute contrainte technique lourde : machinerie, éclairages, prise de son, équipe technique, etc.
Ce matériel léger et souple m’a permis de développer un langage cinématographique particulier rendant possible de cadrer au plus près « le sujet » (Lou) à sa hauteur.
Il m’est souvent arrivé de devoir cadrer Lou au feeling, c’est-à-dire sans utiliser le viseur et à bout de bras, le bonhomme ayant décidé, par exemple, de venir s’asseoir tout près de moi.
Aucune situation n’a été préméditée, aucune mise en scène n’a été mise en œuvre comme c’est souvent le cas pour un documentaire. Et ce, même lorsque j’avais conscience de tourner « un film », au cours des trois dernières années de « tournage ».

…et tant d’autres questions que vous vous poseriez et auxquelles je me ferai un plaisir de vous répondre.

…et tant d’autres questions que vous vous poseriez et auxquelles je me ferai un plaisir de vous répondre.